Linda Maria Baros
Floarea Tutuianu
Floarea Tutuianu, née le 5 août 1951 en Roumanie, est à la fois poète et peintre.
Après avoir fait ses débuts littéraires en 1995, elle a publié six recueils qui entremêlent magistralement poésie et œuvres picturales : La femme-poisson (1996), Libresse oblige (1998), Le Lion Marc (2000), L’Art de la séduction (2002), Ta grandeur d’âme (2010) et Sappho (2012).
Ses textes ont été traduits en français, anglais, italien, allemand, polonais et tchèque. Deux anthologies réunissant ses poèmes sont parus en Nouvelle-Zélande et, respectivement, en Italie.
Artiste reconnue au niveau international, Floarea Tutuianu a participé à de nombreuses expositions personnelles ou de groupe, autant en Roumanie, qu’aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne, en Italie ou en Pologne.
Je guéris avec ma langue est son premier livre publié en France.
Biobibliographie
© Linda Maria Baros
Photo Dana Ulieriu
T R A D U C T I O N S
LINDA MARIA BAROS :
Traduire, c'est prendre position
80 poètes roumains
Je guéris avec ma langue
Floarea Tutuianu
Anthologie poétique
Choix, traduction et préface par
Linda Maria Baros
Floarea Tutuianu
Je guéris avec ma langue
Anthologie poétique
Editions Caractères,
Paris, 2013
Ductilité poético-érotique
Pour en finir avec les démarcations, les canons et l’ordre des choses - toujours timide -, pour faire du poème l’espace d’un perpetuum mobile érotique et littéraire à la fois, Floarea Tutuianu livre à ses lecteurs une œuvre ductile qui sonde les soubassements de l’altérité. Ne pouvant mobiliser les ressources de la réalité pour que cette dernière serve de fondement à ses désirs, l’auteur forge un « moi » poétique mouvant, multiforme, dont la vie n’est qu’expansion émotionnelle. Nous l’appellerons ego frontalier. Nous dirons qu’il habite, au sein même du poème, les régions frontalières de la vie, qu’il hésite entre son corps originaire, pétri de chair et de mots, et l’irrésistible nécessité de faire peau neuve. D’être femme, sirène et mante religieuse à la fois. Il ne s’agit là ni d’une poussée lyrique enthousiaste et passagère, ni d’un simple défi. Il s’agit d’œuvrer contre l’ordre des choses dans l’unique but de connaître l’amour, derrière lequel se profile infailliblement la silhouette du poème.
Ne nous attendons pourtant pas à découvrir entre les pages de ce livre des textes attendrissants qui chantent l’éros et la poésie, en faisant appel à l’arsenal traditionnel ! Iconoclaste hardie, Floarea Tutuianu l’est sans conteste. Elle remotive continuellement, avec audace et subtilité, toute une suite de thèmes et de motifs classiques, entremêle volupté et religiosité, change l’extase érotique en extase spirituelle et poétique. Par-delà l’apparence faussement dépouillée de son écriture et la propension à la saisie simple et directe de « la frange du vif », se construit ainsi un imaginaire d’une complexité et d’une originalité frappantes, où le symbolisme, le ludique, le ton caustique et la métaphore s’imbriquent parfaitement.
Habiter cet espace littéraire d’une remarquable cohésion thématique revient à conjuguer « le symbole sacré et le sexe profane », comme le précise Floarea Tutuianu elle-même dans l’un de ses textes. L’enjeu de cette problématique n’est pas formulé d’une manière univoque, les réponses semblant s’échapper au tournant de chaque vers. Il est néanmoins limpide que l’harmonisation de ces deux pôles traditionnellement opposés s’accomplit au creux du « moi » frontalier, « moi » métamorphe qui change, paradoxalement, d’enveloppe contenante, afin de pouvoir mieux se révéler.
Vient en premier le temps de la sirène qui associe, au-dedans même de son corps, l’humain - le buste féminin - et le divin ichtus - la queue de poisson. Le temps de la femme qui recrée de la sorte l’androgyne primordial porteur d’un amour absolu, indispensablement sacré et profane à la fois. L’écho de cette binarité retentit dans le texte, il envahit l’être et l’espace dans une démonstration de force merveilleusement maîtrisée.
L’anecdotique relève, il va de soi, d’un univers mythique aisément identifiable, qui allie les ressources imaginatives de la culture gréco-romaine et de la culture judéo-chrétienne. Mais ce qui prime, c’est en vérité la dimension métapoétique de cette union charnelle doublée d’une communion mystique. « Faire corps et âme » avec le Christ, c’est également entrer en fusion avec le verbe, c’est devenir partie intégrante d’un langage créateur essentiellement poétique. Le logos spermatikos, le verbe divin, n’a jamais sans doute porté aussi bien son nom que dans les écrits de Floarea Tutuianu !
Vient ensuite le temps de la mante religieuse qui se forge un amant idéal, qui le dévore et le régurgite sous forme de poème. La gestation de ce dernier assimile à nouveau amour et création, entrelacement des corps et entrelacement de l’auteur et du texte écrit, prononcé, ravalé, ciselé et, enfin, cristallisé. Nous remarquerons, bien entendu, que la genèse du poème rapproche l’image de l’auteur d’une figure divine qui façonne le monde à son image au moyen de son propre verbe ou, mieux encore, de son propre logos spermatikos.
Au carrefour du mythe et de la parabole chrétienne, au carrefour où se nouent les vers, s’institue un travail d’écriture programmatique dont la ductilité réside dans la variation de la faculté imaginante, dans sa vibration simultanément émotionnelle et métaphorique. Entre deux idoles, entre le sacré et le profane, le « moi » frontalier n’aura jamais à trancher. Bien au contraire, Floarea Tutuianu propose une mythologie littéraire articulée autour de leur coalescence. La finesse, l’originalité et la force poétique de cet enchevêtrement procurent un véritable vortex imaginatif. Au-dedans même de la femme, nous voyons d’ores et déjà se dessiner une dévoratrice d’hommes-poèmes, qui écrit et regarde vers le haut.
Linda Maria Baros
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Linda Maria Baros - photo Phil Journé.
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